Science et technologie

Comprendre réellement le chat de Schrödinger…?


Chloé Beauchamp

17 mars 2025

Crédit photo Clément Detellier et Mistigri dit « Mimio » Kalou

Cette fameuse expérience de pensée est souvent mentionnée dans la culture populaire, mais je peux vous assurer que la plupart du temps elle l’est d’une manière à faire retourner dans sa tombe Schrödinger! Si vous receviez une lettre de la part de l’université de vos rêves vous annonçant si vous avez été admis ou pas, ce n’est pas comme si, avant de l’ouvrir, vous étiez à la fois accepté et refusé, et qu’en l’ouvrant vous réduisiez votre état à « accepté » ou à « refusé ». Cela ne ferait aucun sens, puisque l’université a déjà décidé si vous étiez admis ou non! Pourtant, nombreux sont ceux qui mêlent l’état d’ignorance d’un résultat déjà déterminé et mécanique quantique, soit les lois régissant le monde des particules subatomiques et l’univers de l’infiniment petit. Afin de vous éviter toute confusion, présente ou future, analysons ce qu’est vraiment le chat de Schrödinger en commençant par un peu de visualisation.

 

La mécanique quantique est loin d’être simple à comprendre, et c’est ce qu’Erwin Schrödinger, physicien autrichien et irlandais, a voulu illustrer en développant cette idée vers 1935.

Imaginez un chat qu’on place dans une boîte avec un atome radioactif, qui lui, s’il se désintègre, activera un mécanisme qui libérera un gaz hilarant, destiné ultimement à endormir le chat (dans la vraie version, c’est une fiole de poison, mais on ne tuera pas d’animal de compagnie aujourd’hui).

Maintenant, fermez la boîte et vaquez à vos occupations. Il faut savoir que la désintégration radioactive est un phénomène totalement aléatoire : le noyau atomique peut relâcher des particules absolument n’importe quand, on sait juste qu’il le fera d’un moment à l’autre.

 

Pour comprendre ce qui se passera dans la boîte, il est nécessaire de comprendre ce qu’est le concept de superposition. En mécanique quantique, ce principe nous dit qu’une particule peut être dans plusieurs états à la fois. C’est certes très contrintuitif, mais dans le monde subatomique, c’est tout à fait possible! Pour vous donner un exemple concret, prenons un atome d’hydrogène. Il possède 1 électron, sauf que cet électron est à plusieurs endroits autour du proton à la fois. En d’autres mots, il occupe plusieurs positions. On dit donc qu’il se trouve dans un état superposé de toutes ces positions. C’est pour cette raison que souvent, on illustre l’atome d’hydrogène avec une sorte de nuage diffus atour du noyau. Ce nuage électronique représente les positions occupées simultanément par l’électron. En raison de la superposition que l’électron subit, il serait donc préférable de le visualiser en tant que région diffuse plutôt qu’en tant que point fixe.

 

Revenons à l’atome radioactif à côté du chat. En fait, cet atome peut être dans un état superposé des deux états suivants : « désintégré » et « pas désintégré ». On se rappelle qu’à la première possibilité, le chat dort, endormi par le gaz, tandis qu’à la deuxième, il est réveillé.  Vient le cœur de cette expérience de pensée : grâce à la superposition des états « désintégré » et « pas désintégré » en même temps, alors cela voudrait dire que le chat, lié au système, est lui aussi dans une superposition de « endormi » et « réveillé », et ce, en même temps.

 

Mais cela ne va-t-il pas un peu trop loin? Oui, l’électron dans un atome d’hydrogène occupe plusieurs positions, mais ça, c’est dans le monde du très, très petit. Peut-il arriver la même chose à un chat, voire à un humain, s’il avait été à la place du chat?

Einstein, lui, n’était même pas convaincu pour le cas de l’électron dans l’atome. Il avait une mentalité déterministe. Le déterminisme est issu de la physique classique : c’est l’idée selon laquelle une balle qui est frappée va à une seule vitesse et atterrira à un seul endroit. Bref, c’est l’idée selon laquelle tout objet est dans un état possible à décrire et bien défini. Associant faussement son déterminisme à la mécanique quantique, il pensait, notamment, que l’électron était une sorte de bille minuscule en mouvement autour du noyau de l’atome d’hydrogène. Pas une région diffuse, représentant plusieurs positions, non!  Mais vraiment une bille ayant une seule position que l’on pouvait prédire.

Évidemment, Einstein s’inscrivait en faux face aux probabilistes de l’époque, soit ceux qui pensaient plutôt que la description de l’électron nécessitait de nouveaux principes (comme celui de superposition). Dans l’émergence de la théorie quantique, on avait donc deux manières de penser qui étaient en contradiction : le déterminisme, qui voulait que les atomes suivent des lois plutôt classiques, et le probabilisme, qui croyait qu’il nous fallait introduire de nouvelles lois basées sur des probabilités afin de décrire de très petites particules dont l’électron.

 

Qui avait raison? Les probabilistes, comme Schrödinger et le fameux nuage d’électrons, ou bien les déterministes, comme Einstein, qui pensait qu’on pouvait toujours prédire le résultat d’une expérience, quantique ou pas?

Techniquement, les deux ont raison, à cause d’un autre principe de la mécanique quantique : la réduction de la fonction d’onde, ou plus simplement la réduction d’état. Ce principe vient du fait que lorsqu’on prend une mesure expérimentale d’un système quantique en superposition, disons de deux états, alors le système ne se réduira qu’à un des deux états. Lequel des deux états sera choisi? Là, c’est le hasard qui décide. Le « véritable » hasard, dans le sens où on ne peut prédire avec exactitude quel sera le résultat. On ne peut que le deviner en se basant sur des probabilités.

Par exemple, prenons un électron dans un état superposé voyageant à 1000 km/h et 2000 km/h en même temps et utilisons un radar pour mesurer sa vitesse: on obtiendra soit 1000 ou 2000 km/h. Pas une moyenne des deux, ni leur somme, ni une vitesse entre les deux, mais vraiment l’un ou l’autre. Disons qu’on a mesuré qu’il allait à 1000 km/h, alors l’électron est maintenant dans un seul état : il ne voyage plus à 1000 et 2000 km/h en même temps, mais seulement 1000 km/h. L’électron n’est plus en superposition : ses états ont été réduits à un seul état, bien déterminé.

 

Si on reprend notre atome d’hydrogène et qu’on se fiche de la position de l’électron, alors Schrödinger a raison : l’électron est bien à plusieurs endroits à la fois. Cependant, lorsqu’on détermine sa position avec des appareils de mesure, c’est plutôt Einstein qui est exact : l’électron se retrouve à un seul endroit, parce que son état de superposition a été réduit par cette prise de mesure.

Schrödinger était déjà conscient que mesurer la position dans l’atome déterminerait celle-ci. Einstein, lui, pensait qu’il avait tort sur ce qu’il se passe avec l’électron avant la mesure; il ne croyait pas que l’électron puisse se trouver à plusieurs endroits à la fois. On sait aujourd’hui que c’est Schrödinger, et d’autres contributeurs, comme Werner Heisenberg ou Max Born qui ont vu juste avec le modèle atomique du nuage électronique. Au secondaire, le modèle de Rutherford selon lequel les électrons « orbitent autour du noyau » n’est qu’une simplification intuitive de la réalité.

 

Considérant tout ça, revenons à la maison retrouver la boîte dans laquelle nous avons laissé un chat. Avant de l’ouvrir, vous vous demandez : est-il vraiment à la fois dans une superposition des deux états « endormi » et « réveillé »? Si oui, il sera impossible de le savoir, car ouvrir la boîte revient à prendre une mesure, et donc cela réduira l’état de votre chat à « endormi » ou « réveillé ». (Le chat est gros comparativement à un atome, et c’est pour ça qu’on suppose que le simple fait de le regarder constitue une prise de mesure : il serait impossible de faire la même chose avec l’électron d’un atome d’hydrogène.)

Voici la réponse à cette question : dans ce cas-ci, non, le chat ne peut être à la fois endormi et réveillé. En effet, souvenons-vous du contenu de la boîte : le chat, un contenant de gaz hilarant ainsi qu’un certain « mécanisme » responsable de relâcher le gaz si l’atome se désintègre. Schrödinger ne nous en dit pas plus, mais on peut imaginer que ce dispositif était lié à un compteur Geiger, un appareil qui mesure la radiation.

 

Eh oui, vous avez bien lu le mot-clé : ce mécanisme mesure s’il y a de la radiation ou pas, ce qui réduit l’état de l’atome radioactif à « désintégré » ou « pas désintégré ». Le chat sera donc « endormi » ou « réveillé », mais pas les deux à la fois!

Schrödinger utilisait en fait cette expérience de pensée pour se demander quelles étaient les limites des états de superposition et de la réduction d’état d’un système quantique. Le fait de regarder le contenu de la boîte n’a aucune influence sur l’état du chat : il a déjà été déterminé.

La mécanique quantique semble magique, mais seulement si l’on reste à une petite échelle!

 

Pour aller plus loin

S’il n’y avait pas de compteur Geiger ni de mécanisme qui mesure la radiation, le « bruit de fond » (ondes électromagnétiques, agitation thermique, etc.) provoquerait ce qu’on appelle la décohérence quantique, soit l’annulation des états de superpositions par des perturbations extérieures, qui viennent interférer avec le système quantique. C’est pour cela, d’ailleurs, que les ordinateurs quantiques (exploitant la superposition) sont constitués de petits dispositifs refroidis à presque zéro kelvin! Cependant, ces pièces sont minuscules. On ne verra jamais un système en superposition grand comme un chat en raison de ce bruit de fond important. Et même si on réussissait à limiter le bruit de fond au maximum, le vide lui-même fluctue, ce qui est une source de décohérence. Et ça, on n’a aucun contrôle là-dessus.

Par contre, où trouve-t-on cette limite de grandeur où la physique classique l’emporte sur la mécanique quantique? Il nous reste à la découvrir. Notre quête vers une compréhension totale de l’infiniment petit n’est qu’à peine entamée!

 

Sources

Afin d’écrire cet article, j’ai utilisé des concepts appris à partir de nombreuses ressources que je consulte depuis longtemps, me permettant de développer ma passion pour la physique quantique et des particules. Pour n’en citer que quelques-uns, j’aime particulièrement les explications de Matt Strassler, qui a écrit Waves in an impossible Sea, ou celles de Stephen Hawking avec l’incontournable Une brève histoire du temps. Alessandro Roussel et David Louapre (ScienceClic et ScienceEtonnante sur YouTube) sont aussi d’excellents vulgarisateurs avec leurs vidéos, conférences et écrits. Les ressources virtuelles du CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire, maintenant renommé Organisation européenne pour la recherche nucléaire), de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et de l’ESA (European Space Agency) m’aident aussi.

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