Culture

L’art de l’évasion fiscale


Émile Godin

11 mars 2025

Crédit photo Shacknews

Bien que certains le remettent encore en question, le statut d’art du jeu vidéo est de nos jours assez communément accepté. Des œuvres telles que « Journey » ou « Inside » ont su convaincre le public notamment grâce à leurs thèmes matures et leur absence d’interface qui permet de les éloigner de l’image souvent dégradante qu’a le médium vidéoludique dans l’imaginaire collectif.  Mais qu’en est-il des jeux se prenant moins au sérieux? Qu’en est-il des jeux comme Turnip Boy Commits Tax Evasion?

Turnip Boy Commits Tax Evasion est un jeu indépendant d’action-aventure sorti en 2021 et développé par Snoozy Kazoo. Le jeu a assez bien performé en faisant autour des trois cent cinquante mille ventes, ce qui a incité le studio à produire une suite, Turnip Boy Robs a Bank, sortie en 2024. Ce jeu vidéo se distingue par son écriture, ses visuels et sa musique, mais avant de parler de ces aspects, il nous faut aborder sa jouabilité.

La jouabilité (gameplay) de Turnip Boy Commits Tax Evasion est définitivement son point faible. Sans être mauvais, il faut avouer qu’il n’est pas révolutionnaire. Le jeu alterne entre les phases de casse-tête et les phases de combat. Les casse-têtes sont assez peu complexes et consistent généralement à trouver un moyen de se rendre à un endroit grâce à des éléments du décor précis avec lesquels on ne peut interagir que d’une seule façon. Au cours de l’aventure, de nouvelles mécaniques sont ajoutées et combinées aux anciennes pour éviter trop de répétition, mais même vers la fin du jeu, il est rare qu’un joueur doive consacrer plus d’une minute de réflexion avant d’exercer un choix. Les combats eux sont encore plus simples : il faut éviter les attaques des ennemis pour s’en rapprocher et les frapper avec notre épée.  En résumé, la jouabilité de Turnip Boy Commits Tax Evasion est assez intéressante pour éviter qu’on s’ennuie, mais pas assez pour le différencier de la pléthore de jeux indépendants qui sortent de nos jours. Maintenant que cela est mis au clair, voici pourquoi ce jeu est génial.

Tout d’abord, l’écriture de Turnip Boy Commits Tax Evasion est tout simplement extraordinaire. Le jeu raconte l’histoire de Turnip Boy, un jeune navet qui vient de se faire expulser de sa demeure par le maire de son village après avoir failli à payer ses taxes. Alors qu’il pense avoir tout perdu, le maire vient lui faire une offre alléchante : s’il accomplit des tâches pour lui, il pourra récupérer sa maison. Turnip Boy accepte et est forcé d’aller récupérer d’étranges artéfacts sous les ordres du maire. Au cours de sa quête, il fera la rencontre d’une multitude de personnages colorés qui lui demanderont de l’aide bien qu’ils en viendront souvent à le regretter. En effet, Turnip Boy est un protagoniste muet qui n’a absolument aucune empathie pour ses confrères. Cela mène donc à plusieurs situations comiques fondées sur l’écart entre l’attitude relativement normale des autres fruits et légumes croisés durant le jeu et celle complètement chaotique de ce jeune navet. Les dialogues écrits d’une main de maître parviennent par ailleurs à sublimer l’absurde de ces situations. L’ambiance au début du jeu est donc loufoque et relaxe, mais cela viendra à changer. En effet, vers les trois quarts de l’aventure, l’histoire prend une tournure inattendue qui change complètement le ton. On parcourt maintenant des environnements hostiles et anxiogènes dans un climat lourd et troublant. Puis, pendant que le joueur en est encore à se remettre de ses émotions, il est plongé dans une dernière étape qui reprend l’absurde de la première section du jeu et l’amène à son apogée en nous proposant une finale grandiose, pour ne pas dire épique. En somme, c’est un véritable ascenseur émotionnel qui saura marquer les esprits.

Ensuite, les visuels de Turnip Boy Commits Tax Evasion sont charmants. Le jeu est en pixel art ce qui lui donne un style rétro qui contraste bien avec son humour plus moderne et ses couleurs saturées ajoutent à l’atmosphère bon enfant du début de l’aventure. De plus les designs des personnages, bien que simples, permettent de facilement se faire une idée de leur personnalité avant même qu’on leur parle et savent faire part d’originalité pour ceux dont le rôle dépasse celui d’un simple gag. En somme, des visuels qui donnent le sourire.

Finalement il faut mentionner le travail de James Currier et Ryan Borbone, les compositeurs de la bande originale du jeu. La musique de Turnip Boy Commits Tax Evasion est excellente et capture à merveille les multiples ambiances issues des rebondissements de l’intrigue. Tandis que certaines pistes, telle Bill Collectors, reflètent un climat calme et plaisant, d’autres, telle Mutation, rendent honneur aux passages plus dramatiques et sérieux dans lesquels le scénario nous entraîne.

En conclusion, Turnip Boy Commits Tax Evasion, malgré une jouabilité pour le moins ordinaire, mérite notre attention pour son scénario, ses graphismes et sa trame sonore. Je vous le conseille, en espérant qu’il puisse faire en sorte que le diagramme de Venn comparant votre perception du jeu vidéo à celle d’un art puisse se rapprocher du cercle.

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